- suprgrafik
- 29 sept.
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Strakatý máslo Josef Štefan Kubín, illustrations et graphisme de Zdeněk Seydl, éditions Československý spisovatel, Prague, 1964.


Le livre Strakatý máslo est l’un de ces ouvrages qui, derrière une apparente simplicité, cristallisent plusieurs dimensions importantes de la culture tchèque : le folklore populaire, la transmission littéraire, et l’attention remarquable portée au graphisme dans l’édition tchécoslovaque des années 1960.
Son titre, que l’on pourrait traduire littéralement par « Beurre moucheté » ou « Beurre bariolé », est avant tout une métaphore. Il évoque une collection variée, colorée et vivante de récits populaires , un peu comme un tissu aux motifs multiples ou une tapisserie composée de fragments d’histoires. Ce recueil publié en 1964 réunit contes, anecdotes humoristiques, “poudačky” (petits récits moraux) et histoires rurales issues de la tradition orale. C’est aussi un livre qui, au-delà de son contenu littéraire, témoigne d’un moment éditorial et culturel très riche.
Un projet éditorial commémoratif
La publication de Strakatý máslo intervient à un moment particulier : en 1964, Josef Štefan Kubín a presque cent ans. Cette édition est conçue comme un hommage à sa carrière et à son rôle essentiel dans la transmission des traditions populaires tchèques. Le livre paraît aux éditions Československý spisovatel, maison centrale dans la vie culturelle tchécoslovaque, connue pour la qualité de ses ouvrages littéraires et graphiques. Mais aussi maison d’édition d’état qui sert le pouvoir communiste.
Ce projet commémoratif n’est pas seulement une célébration personnelle. Il illustre aussi une politique culturelle propre aux années 1960 : valoriser le patrimoine populaire dans un cadre éditorial soigné et accessible à un large public adultes comme enfants.
Josef Štefan Kubín, passeur de voix populaires (1864–1965)
Josef Štefan Kubín est une figure importante, parfois méconnue hors de Tchéquie.
Né en 1864, il consacre sa vie à la collecte et la transmission du folklore tchèque : contes, légendes, chansons, proverbes, dialectes régionaux. Il parcourt la Bohême et la Moravie, notant avec soin la langue parlée, les tournures locales, les histoires transmises oralement depuis des générations.
Kubín n’est pas seulement un collecteur : il est aussi un écrivain, attentif au style, au rythme et à l’authenticité du “parler vrai” du peuple.
Il exerce comme professeur de langues (tchèque, français, allemand) et ne devient un auteur de contes publié que tardivement. À partir du milieu du XXᵉ siècle, ses livres pour enfants et ses recueils folkloriques connaissent un vrai succès.
En 1964, l’année de parution de Strakatý máslo, il reçoit le titre de Národní umělec (Artiste national), reconnaissance officielle de son œuvre et de sa contribution à la culture tchèque. Il meurt un an plus tard, en 1965.
Zdenek Seydl, le graphisme au service du folklore
Le livre doit aussi beaucoup à Zdeněk Seydl (1916–1978), graphiste, typographe, illustrateur et scénographe tchèque.
Seydl a été formé à l’école d’arts graphiques de Prague et à l’UMPRUM, dans la classe du grand František Kysela. Son style est immédiatement reconnaissable : stylisation décorative, liberté expressive, traits affirmés, goût pour l’ornementation et la composition. Il n’illustre pas simplement : il conçoit l’objet-livre dans son ensemble : couverture, typographie, mise en page, rapports texte-image.
Pendant des décennies, Seydl travaille étroitement avec Československý spisovatel, contribuant à définir l’identité visuelle d’une grande partie de la production éditoriale tchèque. Ses livres sont souvent considérés comme des objets esthétiques autant que des supports littéraires.
Dans Strakatý máslo, Seydl réussit un équilibre remarquable :
Il accompagne le ton chaleureux et populaire des récits de Kubín.
Il introduit une dimension visuelle moderne, typique des années 1960, sans trahir la simplicité folklorique.
Il soigne la typographie, la mise en page et la structure pour créer une lecture rythmée, vivante et élégante. Le résultat est un livre où texte et image dialoguent véritablement, et non pas une simple illustration d’accompagnement. Un livre jeunesse… mais pas seulement
Bien que publié dans une collection qui n’est pas destinée à la jeunesse, Strakatý máslo s’adresse en réalité à tous les publics amateurs de contes populaires dont les enfants.
Le volume compte environ 176 à 184 pages et comporte plusieurs planches en couleur. Le style des récits alterne entre l’humour léger, la sagesse populaire, la chronique villageoise et de petites histoires morales. Ce mélange donne au livre une tonalité chaleureuse, souvent drôle, toujours enracinée dans la vie quotidienne rurale.
Pour le lecteur contemporain, le livre possède un double intérêt :
Documentaire, car il conserve des formes narratives populaires aujourd’hui en partie disparues. Esthétique, car il témoigne d’un savoir-faire éditorial et graphique très abouti, typique de la Tchécoslovaquie des années 60.
Folklore et culture officielle dans les années 1960
La publication de ce type de recueil n’est pas anodine. Dans la Tchécoslovaquie communiste, la culture populaire est à la fois valorisée comme identité nationale et parfois instrumentalisée à des fins idéologiques.
Mettre en avant les contes traditionnels, la ruralité et la sagesse populaire permet de construire une narration culturelle cohérente avec certains objectifs politiques tout en répondant à une vraie attente du public.
Strakatý máslo témoigne ainsi d’un moment particulier : celui où la culture folklorique, loin d’être marginalisée, bénéficie d’un véritable investissement éditorial et artistique.
Une rencontre rare entre oralité, écriture et graphisme
À travers ce livre, trois dimensions se rencontrent : La parole populaire, collectée et transmise par Kubín, le travail d’écriture littéraire, fidèle et vivant et la mise en forme graphique moderne, grâce à Seydl.
Strakatý máslo n’est pas seulement un recueil de contes : c’est un objet éditorial soigneusement pensé, à la croisée de la tradition orale et de la modernité artistique des années 60.
Il rappelle combien la littérature jeunesse tchèque a su être ambitieuse, à la fois dans le fond et dans la forme.











