- suprgrafik
- 7 oct.
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Do Tramtárie - Miroslav Válek (1927-1991) - illustrations de Miroslav Cipár (1935-2021) - éditions Albatros, 1974.


Il y a des livres qui, au-delà de leur fonction première, ici divertir la jeunesse, deviennent des témoins silencieux d’une époque. Do Tramtárie, (Au pays de nulle part) publié en 1974 par les éditions Albatros, appartient à cette catégorie rare. Sous la plume poétique de Miroslav Válek (1927-1991) et le pinceau foisonnant de Miroslav Cipár (1935-2021), l’ouvrage déploie un univers à la fois naïf et sophistiqué, ancré dans une Tchécoslovaquie figée par le régime, mais toujours fertile en imaginaires.
Dès la couverture, une scène intrigante s’offre au regard : un panorama urbain stylisé, composé de coupoles et de tours bariolées, évoque un Orient rêvé ou une cité impossible, surmontée d’un ciel en damiers. En bas, une automobile rouge aux allures d’entre-deux-guerres glisse vers l’ailleurs. Ce mélange d’architectures fantasques et d’objets modernes dit déjà l’essentiel : Do Tramtárie est une invitation au départ, une porte ouverte sur l’évasion.
Nous sommes en 1974, dans une Tchécoslovaquie marquée par la « normalisation » qui a suivi le Printemps de Prague. La littérature jeunesse, paradoxalement, devient alors un terrain de liberté relative. Les auteurs y explorent les marges du réalisme socialiste en recourant à la fantaisie, à la poésie, au conte. Poète reconnu, Válek inscrit son texte dans cette tradition : celle d’une fuite vers l’imaginaire comme refuge, comme manière détournée de parler du monde réel.
Les illustrations de Cipár sont essentielles à cette dynamique. Graphiste et peintre d’une inventivité rare, il combine motifs folkloriques, structures géométriques et aplats de couleurs vives. Ses villes aux dômes rayés et ses forêts stylisées rappellent les enluminures médiévales aussi bien que les avant-gardes modernes. Dans la double page d’ouverture, les architectures saturent l’espace, s’empilent et s’enchevêtrent dans une profusion joyeuse : une sorte de cartographie mentale de la « Tramtárie », ce pays imaginaire du lointain et de la fantaisie.
Ce foisonnement visuel dialogue subtilement avec le texte de Válek. Ensemble, ils construisent un territoire poétique où l’enfant-lecteur est invité à se perdre volontairement. Les compositions graphiques de Cipár n’illustrent pas le texte au sens strict : elles le prolongent, le densifient, créant une tension heureuse entre lecture et contemplation.
Aujourd’hui, Do Tramtárie conserve une fraîcheur singulière. À la fois livre d’enfance et œuvre graphique aboutie, il témoigne d’une époque où la créativité devait parfois se glisser entre les mailles du contrôle politique pour exister. Dans ce pays imaginaire de papier, Válek et Cipár ont inventé une échappatoire élégante et colorée, qui résonne encore comme un acte discret de liberté.














