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 - 29 sept.
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Josef Čapek a kniha (Josef Čapek et le livre), graphisme Zdenek Seydl, éditions Československých výtvarných umělců, 1958.


Il est des artistes vers lesquels je reviens sans cesse, presque malgré moi. Josef Čapek fait partie de ceux-là. Même si je m’éloigne parfois de mon domaine de recherche, je suis invariablement ramenée à lui, à sa personnalité et à son œuvre. Car Josef Čapek, dans son rapport au livre, éclaire avec force l’entre-deux-guerres tchécoslovaque, moment où politique et art s’entrelacent intimement. Le livre devient alors un lieu de dissidence, d’affirmation nationale, par le choix de la langue tchèque et par sa diffusion sous cette forme tangible et populaire.
Dès le début du XXe siècle, une question essentielle s’imposait : qu’est-ce qu’un beau livre ? Josef Čapek a tenté d’y répondre, non par la théorie, mais par l’exemple, par ses couvertures, 184 au total, réalisées entre 1920 et 1938, rassemblées dans cet ouvrage à partir de la collection de Vladimír Thiele.
Il est difficile de parler de Josef Čapek sans être émue, presque subjuguée. Peintre, dessinateur, illustrateur, caricaturiste, scénographe et graphiste, il est de ces artistes qui abolissent les frontières entre disciplines. Dans ses couvertures, il transpose la tension de ses peintures, y applique une concision moderne, et redéfinit le « beau livre » au-delà du seul regard du bibliophile. Il voyait dans le livre à la fois une source de contemplation et un objet de première nécessité : « emprunter le chemin le plus court possible vers le raccourci le plus concis et le plus complet pour dessiner le visage du livre ».
La technique qu’il affectionnait particulièrement pour ses couvertures était la linogravure. Choix à la fois économique et pratique (difficulté financère d’après-guerre et les caractères typographiques tchèques avec accents étant encore rares), mais qui lui offrait une liberté d’expression particulière. Sobre, lisse, géométrique dans un premier temps, son style évolue, dès 1928, vers des couleurs plus vibrantes, une orchestration plus dramatique. Mais toujours, il recherche une solution simple, équilibrée, où l’ingéniosité s’efface derrière l’impersonnalité apparente de la composition.
Quatre grands chemins2 se dégagent dans son travail graphique :
· Le rythme typographique : titres et noms d’auteurs deviennent matière plastique, dynamisés par la couleur, les lignes, parfois même caricaturés avec humour.
· La solution décorative globale : les lettres se transforment en motifs, les surfaces en figures géométriques, avec l’écho du cubisme.
· Le signe condensé : l’idée du livre est réduite à un symbole graphique ou figuratif, une métaphore visuelle.
· Le récit visuel : l’image s’impose directement, souvent nourrie des thèmes chers à Čapek : la nature, l’enfance, la simplicité quotidienne.
Dans toutes ces approches, même la police de caractères devient décor, expression. La couleur, vive ou mélodique, s’ajuste au besoin. Ses couvertures ne décrivent pas : elles imaginent, elles suggèrent.
Cette œuvre graphique témoigne d’une époque où l’art moderne, né dans la rareté et l’expérimentation, se diffuse au cœur de la vie quotidienne. Chez Josef Čapek, ce désir de servir la vie1 est manifeste : il ne distinguait jamais entre une « petite » commande et une mission prestigieuse2. Il mettait le même soin, la même liberté intérieure, que dans sa peinture.
Il faut rappeler aussi l’engagement politique de Čapek. En 1926, il publie ses premiers dessins antifascistes, en réaction à la fondation de la Národní obec fašistická (Communauté nationale fasciste). Des illustrations percutantes, symboliques, qui marquent le début d’un journalisme graphique engagé contre la montée de l’extrême droite. La résistance, pour lui, passait aussi par le trait. On sait hélas qu’il sera arrêté, déporté et qu’il mourra en avril 1945 au camp de Bergen-Belsen.
Je dois avouer que parler de lui n’est jamais simple : j’ai accumulé tant de documents, d’écrits, d’ouvrages, parfois contradictoires que je me sens à la fois riche et dépassée. Josef Čapek reste, encore aujourd’hui, dans l’ombre de son frère Karel Čapek. Et pourtant, si Karel est le grand écrivain, Josef en est l’écho visuel, le compagnon artistique, l’alter ego créatif. « Je suis un illustrateur contre mon gré 3», aimait-il dire. Mais quelle chance pour nous qu’il ait cédé à ce « contre-gré » : il a transformé le paysage graphique tchécoslovaque et donné un visage moderne au livre.
1 - Pracoval jsem mnoho - Soupis výtvarného díla Josefa Čapka II: Užitá kresba, 8smička, 2020, p25
« Première république , lorsque de nouvelles conditions de vie culturelle ont été établies. Les frères Čapek ont compris le développement de la jeune démocratie tchécoslovaque non seulement comme une nouvelle chance, mais comme une tâche personnelle pour chaque individus. Ils se sentaient responsables des conditions de la société et du niveau des événements publics »
2 – Josef Čapek a kniha, Úvodní studie, Jiří Kotalík, pqges13 et 14, Nakladatelství Československých výtvarných umělců, 1958
3-1 - Pracoval jsem mnoho - Soupis výtvarného díla Josefa Čapka II: Užitá kresba, 8smička, 2020, p57











En bref sur l’artiste :
Josef Čapek (1887 – 1945)
Josef Čapek, figure artistique majeure de l’entre-deux-guerres, fut à la fois peintre, illustrateur, scénographe, graphiste, critique d’art romancier, dramaturge, journaliste, . Né le 23 mars 1887 à Hronov (Bohême), il grandit dans un milieu cultivé aux côtés de ses frères et sœurs, Karel et Helena. Leur père exerçait comme médecin, tandis que leur mère collectionnait le folklore littéraire tchèque, nourrissant ainsi très tôt la sensibilité artistique des enfants. La famille passa son enfance entre Úpice et Malé Svatoňovice.
À la demande de ses parents, Josef débute sa formation dans une école allemande de tissage à Vrchlabí, avant d’intégrer en 1904 l’École des arts appliqués de Prague, où il étudie jusqu’en 1910. Peu après, en compagnie de son frère Karel, il effectue un séjour d’étude à Paris (1910–1911), où il découvre avec enthousiasme les courants artistiques modernes, en particulier le cubisme. Ce voyage sera déterminant dans l’évolution de son style. Il visite également l’Espagne, dont l’art populaire influencera sa sensibilité plastique.
De retour en Bohême, Josef s’implique activement dans la vie artistique pragoise : il rejoint de nouveaux groupes d’artistes d’avant-garde, devient brièvement rédacteur du magazine Artistic Monthly, puis édite la revue de l’association Mánes, Volné směry (1912–1914). Une rupture conflictuelle avec ce cercle l’empêche temporairement d’exposer ses œuvres. Durant cette période, il se consacre surtout au journalisme et à la création littéraire, souvent en collaboration étroite avec son frère Karel. Souffrant d’une mauvaise vue, il échappe à la mobilisation durant la Première Guerre mondiale.
En 1919, Josef épouse Jarmila Pospíšilová, son amour de jeunesse. Le couple aura une fille, Alena.
Dans les années 1920 et 1930, Josef Čapek mène une intense activité culturelle. Il collabore à plusieurs journaux et revues, notamment Národní listy, le magazine satirique Nebojsa, et surtout Lidové noviny (1921–1939), où il se distingue par son style vif et engagé. À partir de la fin des années 1920, il devient membre de la Umelecká beseda, une importante société artistique tchèque, et participe à la rédaction de son anthologie Život. Il contribue également aux revues Světozor et Almanach kmene.
En 1918, aux côtés de Jan Zrzavý, Václav Špála, Vlastislav Hofman, Otakar Marvánek et Rudolf Kremlička, il fonde le groupe artistique Tvrdošíjní (Les Obstinés). Sous ce label, sa première exposition collective se tient en 1924. Son œuvre picturale, d’abord marquée par le cubisme, intègre progressivement des influences variées : expressionnisme allemand, art populaire tchèque et primitivisme enfantin, auxquels il donne une interprétation très personnelle. Parallèlement, il s’illustre comme scénographe et illustrateur de livres, reconnu pour son trait à la fois moderne et poétique.
Tout comme son frère Karel, Josef Čapek s’oppose fermement à la montée du fascisme en Europe. Il exprime ouvertement ses convictions humanistes et démocratiques, notamment dans ses articles et dessins politiques. Peu après l’instauration du Protectorat de Bohême-Moravie en 1939, il est arrêté par la Gestapo. Déporté dans plusieurs camps de concentration, il finit interné à Bergen-Belsen, où il meurt en avril 1945, victime d’une épidémie de typhus, quelques semaines avant la libération du camp.





