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O Pidižilovi Velikém - (À propos de Pidijil le Grand) - Alois Mikulka - éd. Blok - 1970


Sous sa couverture joyeusement bariolée, O Pidižilovi Velikém (À propos de Pidijil le Grand) d’Alois Mikulka cache un monde où le trait s’amuse, où le mot danse, et où la logique, un peu moqueuse, s’égare avec délectation.Publié en 1970 à Brno par la maison d’édition Blok, ce livre est un véritable laboratoire de fantaisie visuelle un carnet d’expérimentations où texte et image fusionnent dans une écriture graphique à la fois naïve, grotesque, burlesque et profondément inventive.
Une couverture comme manifeste trompeur
Dès la première page, le ton est donné : un visage de bouffon, des lettres colorées et brinquebalantes, un texte manuscrit, corrigé, raturé... Tout évoque la spontanéité d’un dessin d’enfant assumé, travaillé, cultivé même.Mikulka s’amuse du désordre, de la maladresse, de la fausse naïveté : un chaos soigneusement organisé qui annonce la jubilation du contenu.Les couleurs débordent, les formes se déforment : joues trop grandes et trop rondes, nez trop long, bras disproportionnés, tout concourt à un joyeux dérèglement visuel. On comprend vite qu’il sera ici question d’une histoire pas tout à fait comme les autres.
Un intérieur foisonnant et libre
Mais surprise : à l’intérieur, les couleurs disparaissent. Place au noir et blanc, à la profusion des lignes.Les dessins débordent du cadre, envahissent le texte, les personnages bavardent dans les marges, les mots se plient et se contorsionnent. Chaque double page devient un terrain de jeu graphique une conversation entre le trait et la phrase.Ce qui semble improvisé ou gribouillé à la hâte est en réalité minutieusement pensé. Mikulka sature l’espace de signes, jusqu’à créer une densité presque tactile.
Il brouille les frontières entre lecture et regard, entre récit et dessin. Il raconte comme un enfant expliquerait une blague : avec trop de détails, des digressions, des ratures, des exagérations. Ce désordre heureux est la véritable énergie du livre, un brouillon génial, comme esquissé sur un coin de table, où le manque de place devient parti pris esthétique. Le blanc se raréfie pour mieux saturer l’atmosphère.
L’esprit du jeu et l’enfance retrouvée
Dans une interview accordée à IBBY en 1980, Mikulka affirmait combien il est essentiel « d’intégrer le jeu dans l’activité créative » et combien il admirait « l’immédiateté des enfants ».Il se méfiait de l’art sérieux, de la perfection stérile ; il lui préférait la maladresse expressive, l’absurde joyeux, le plaisir de faire.
O Pidižilovi Velikém incarne cette philosophie : un livre qui rit, qui trébuche, qui chante un peu faux mais avec grâce. On y sent la main de l’artiste s’amuser, raturer, recommencer, dans un geste de création spontanée, libre et sincère.
Une esthétique de la saturation
Le style de Mikulka se reconnaît à cette saturation joyeuse où texte et image s’enlacent. L’artiste refuse toute hiérarchie entre les deux : l’écriture devient graphique, le dessin devient narratif.Le résultat, à la fois parodique et poétique, détourne les codes de la littérature enfantine moralisatrice d’autrefois. Là où celle-ci prétendait enseigner, Mikulka invite à désapprendre à réapprendre à rêver, à regarder autrement le réel.
Un artiste total
Né en 1933 à Brno, diplômé de l’École des arts appliqués de sa ville puis de l’Académie des beaux-arts de Bratislava (1958), Alois Mikulka fut avant tout peintre et sculpteur.L’illustration, disait-il, ne représentait qu’un dixième de son œuvre. Pourtant, ses contributions à la presse enfantine (Mateřídouška, Sluníčko, Sedmička pionýrů) et ses livres publiés entre les années 1960 et 1980 révèlent un créateur profondément attaché à l’esprit de l’enfance : libre, curieux, insolent et sans filtre.
Son trait volontairement maladroit, ses couleurs franches et ses compositions débridées font de lui un poète graphique rare, à la croisée de l’art brut et du surréalisme populaire.
Un trésor d’insolence tendre
O Pidižilovi Velikém est bien plus qu’un simple livre pour enfants : c’est une profession de foi dans le pouvoir du jeu.Derrière ses excentricités visuelles, Mikulka nous parle d’une chose très sérieuse celle de ne jamais cesser de s’émerveiller.Le merveilleux est là, à portée de main, dans un rire, un trait, une tache d’encre. On y entend peut-être un écho aux œuvres de Josef et Karel Čapek : ce même désir de dire le monde autrement, avec douceur, humour et un brin d’insolence.
















